Histoire ♥
Audric Logan Vesper Mac Allister est né le 1er mai 1985 dans une famille londonienne plus qu'aisée. Fils héritier d'une famille anciennement noble, il vit le jour dans le plus grand luxe. Son père, Walter Vesper Maxwell Mac Allister, était à la tête d'une grande multinationale créant toute sorte de produits manufacturés en bois. Ainsi, l'enfance du jeune Audric fut très vite guidée par toutes sortes de jouets et autres amusements sorties tous droits des usines de son père. Il avait droit au meilleur, au plus beau, au plus sophistiqué, au plus coûteux : il était l'aîné et seul fils de la famille après tout. Mais ce qu'il aimait fort probablement le plus, ce devait être la voix de sa mère : une chanteuse d'opéra. Ainsi, lorsque le père couvrait son fils d'un luxe matériel, Octavia Anabasta Faith Mac Allister choyait son enfant de belles chansons et de berceuses. Ce dernier finit même par demander à chanter avec elle : mais avec un instrument. Il ne fallait pas que des voix après tout ! Aussi, dès ses 6 ans, son père lui offrit un violon et les cours qui vont avec.
Audric vécu ainsi, dans un luxe et une sécurité aussi dorée qu'appréciable. Cela dura jusqu'en 1994 : le jeune garçon avait 9 ans.
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Jusqu'à ses 9 ans oui : le jeune garçon bénéficia d'un précepteur pendant plusieurs années. Et d'ailleurs, Audric, en enfant calme et studieux, se révéla même très perspicace. Neuf ans et non onze : il avait sauté deux classes pour entrer en école secondaire à l'âge d'à peine neuf ans. Tendu ? Oui il l'était. En un sens le jeune garçon n'avait que très peu quitté le domaine familial -pour quelques vacances et loisirs tout au plus- et surtout il n'avait jamais quitté ses parents, ses domestiques, son nid douillet ! Ainsi, ce trajet en voiture fut pour lui un véritable supplice. Aller, encore, encore un peu : il devait durer. En un sens s'il avait duré l'éternité cela lui allait. Mais voilà : Audric était pragmatique et très réaliste pour son âge. Il savait qu'il finirait par arriver, que son père sortirait de la place conducteur pour lui faire un gros bisou avant de repartir, pour le laisser la, seul... Le jeune garçon en tremblait déjà de peur.
Et c'est ce qu'il se passa rigoureusement. Audric était là, juste à l'entrée du petit portail qui donnait d'un côté sur la rue, et de l'autre sur la cour de l'école. Mais il ne savait pas vraiment où aller. Alors il resta là, debout, au beau milieu de l'entrée. Il pleuvait devant ses chaussures et il pleuvait des remarques tout autour de lui. Ça rentrait, et on le trouvait "étrange", "chouinneur". Il ne pleurnichait pas... il ne pleurnichait pas. Il avait même fini par le répéter en boucle, en marmonnant dans sa barbe par soubresauts de sanglots. Tout autour, ça avançait, et lui restait là. Il ne voyait même plus les gens passer : il était juste noyé dans un flux continue de ce qui semblait être humain. Des cris, des rires, lui ne riait pas. Pas.
"Et bien mon garçon, il faut y aller maintenant : restes pas planté là comme ça."Quoi ? Intrigué, Audric commença par remarquer que quelque chose l'avait plongé dans l'obscurité. Levant finalement la tête, il vit une jeune femme, plus totalement jeune d'ailleurs. Ses cheveux blonds, longs, bouclés et crépus ornés d'une grosse paire de lunettes noires formaient un bien étrange nuage qui cachait l'enfant du Soleil. Balbutiant quelques mots, le jeune garçon ne savait que répondre. Et finalement, son interlocutrice soupira, sortit un mouchoir de son sac à main pour lui essuyer les joues.
"Toi tu m'a l'air perdu mon pauvre bonhomme, reprit-elle d'un ton compatissant. Aller ça va aller. Tu t'appelles comment ? C'est ta première rentrée ?
-Oui madame, bredouilla-t-il. Je... je m'appelle Audric.
-Ah ! Le petit Audric : j'ai entendu parler de toi. Moi c'est mademoiselle Mac Donagan. Le hasard fait bien les choses : je serais et ton professeur principal, et ton professeur de musique cette année ! Allons bon : je sais que cela doit être dur et déstabilisant pour toi. Mais ça va aller : tu viens ?"Sur ces mots, elle lui tendit la main et le jeune garçon la saisit fébrilement. Son professeur. Une madame gentille. Audric se sentait un peu rassuré, un peu à peine. Tout était encore si... nouveau. Mais déjà on lui avait tendu la main, et cette main qui serrait en cet instant la sienne était aussi douce que celle de sa maman... Maman...
Finalement, mademoiselle Mac Donagan le mena à coté d'autres élèves, dans la cours. Elle les présenta, et ces gens semblaient aussi entrer pour la première fois en école secondaire. Finalement, la professeur s'effaça lentement pour laisser les enfants faire connaissance. Et elle finit par quitter leur compagnie sans même qu'Audric ne s'en rende compte. Ce dernier d'ailleurs, ne le remarqua qu'une fois que la cloche sonna, se retournant sur du vide alors même qu'il allait la remercier.
S'en suivi l'instant cruciale de répartition des classes. La madame était d'ailleurs aux côtés du directeur lorsque ce dernier appela un à un les élèves, pour les assigner à leur professeur principal avant de monter en classe. Ainsi, Audric, d'abord entouré, vit son groupe d'amis à peine trouvé s’étioler peu à peu. Au départ de la première classe, ils étaient déjà passés de huit à six. Au second, ils en perdirent un de plus. Au troisième deux autres. Et à l'appel de la quatrième classe, Audric vit ses deux derniers amis s'éloigner. Non, pas déjà... Inquiet et mal à l'aise. Le jeune garçon baissa un peu la tête tandis que des sanglots commençaient à re-naitre dans sa gorge.
"Et Audric Mac Allister, annonça le directeur pour conclure la liste."Lui, lui, c'était lui ! Intrigué, le jeune garçon releva la tête d'un air ahuri. Il scruta partout à la recherche de il ne savait trop quoi d'ailleurs. Planté là, il jeta un coup d’œil à ses deux amis.
"Votre professeur principale sera mademoiselle Mac Donagan que voici.La madame ! Audric finit par la trouver du regard. Cette dernière finit même par l’appeler à haute voix pour l'inviter à venir. Ainsi, Audric rejoint ses deux amis : Ulric et Rachel. Et les trois montèrent en classe tandis que le plus jeune tenait encore la madame par la main.
Le reste de la journée se passa plus que bien. Audric commença même à se faire remarquer pendant les présentations -premier exercice de la journée- en disant savoir jouer du violon assez aisément ! Le reste de la journée fut rythmé par visites et autres prises de repères dans un bâtiment qui semblait énorme. Salle de chimie, de biologie, gymnase, salle informatique, salle de musique. C'était là qu'ils s'étaient retrouvés au début de la journée d'ailleurs. Et si beaucoup trouvaient drôle qu'un gros piano ne prenne presque toute la place devant le tableau, Audric repéra quelque chose qui l’intéressa bien plus : un violon rangé dans un coin, dans son étui.
Finalement, à la fin de la journée, Audric se sentait un peu plus serein. Il comprenait de quoi il en retournait ici. Il avait une prof principale super sympa, gentille et accueillante. Il avait sept amis très gentils, mais il fallait avouer qu'il se sentait bien plus proche d'Ulric et Rachel. La classe... ça y joue beaucoup. Le premier était un peu rebelle, voir même n'avait pas froid aux yeux. Il était franc, direct, droit, et en devenait même un peu paternaliste avec Audric. Rachel, elle, était plus douce et innocente, quoi qu'un peu revêche quand on la cherchait, elle ou ses proches. Ainsi, le jeune garçon -qui était le cadet de son groupe d'amis comme de sa classe- finit rapidement par se sentir entouré, protégé par les grands.
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Les quelques premiers mois passèrent sans grand encombre. Audric, d'abord perdu, prit de plus en plus ses marques. Entouré, et choyé comme un petit trophée par sa classe, il s'avéra être l'un des premiers dans presque toutes les manières. Sérieux et attentif, il prenait ses études très à cœur : il fallait faire plaisir à papa et maman. Mais il fallait l'avouer : en dépit de ses excellents résultats, certaines matières l'ennuyaient profondément. Et là où une bonne partie du corps enseignant le voyait déjà faire de grandes et brillantes études en science ou dans la recherche, lui ne jurait que par un cours : la musique.
Un mois après la rentrée d'ailleurs, il s'y fit même remarquer en interprétant un morceau classique au violon : il était doué, très doué pour son âge. Et ce petit concert improvisé -avec le violon de la prof- à la fin d'un cours lui valut rapidement son surnom : le petit prodige. A noter par ailleurs qu'il chercha à commencer l'apprentissage du piano peu après : il voulait faire comme mademoiselle Mac Donagan. Et forcément, son père accéda à sa demande.
Aussi, le jeune garçon n'en fut même pas secoué lorsque la madame annonça une sortie : toute la classe allait pouvoir visiter une station de traitement des eaux usées pour le cours de biologie. Chouette !
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Il avait tout préparé. Tous. Le jeune Audric était aussi excité qu'une pute : une sortie. Pour la science, certes. Mais sortir un peu des enceintes de l'établissement lui faisait un peu de bien. Ce matin là, le jeune garçon retrouva rapidement Ulric et Rachel avant même que son père n'ait eu le temps de lui faire un bisou. Les trois s’installèrent à l'avant du bus -Rachel était malade dans les transports- et les huit finirent par occuper les 4 premières plages gauches du véhicule. Un instant, deux, trois, quatre, mille ! Et ils étaient partis. Ainsi Audric fit un petit coucou à son père par la fenêtre avant de se retourner vers ses amis pour jacasser. Ils avaient tout le trajet à tuer après tout !
Trajet bien trop court finalement : ils ne l'avaient pas vu passer. Ainsi, toutes les classes de première année sortirent des bus pour finalement commencer la visite.
Termes techniques, boulots, trucs compliqués. Audric comprenait très vite. Aussi il notait, puis s’ennuyait un peu : l'occasion parfaite pour détourner Ulric du droit chemin en jacassant. Et ça n'y a pas loupé ! Le jeune homme tomba dans le piège. Ainsi, tandis qu'Audric suivait tout en parlant avec Ulric, ce dernier passait au travers de la visite sans rien retenir. Classique.
Une fois finis, la journée avait passé. Tout le monde s'était arrêté pour manger et quelques activités avaient même été menées. Mais le retour c'était quand même bien sympa ! Les huit retournèrent aux même places pour finalement chahuter plus qu'à l'allée. A croire qu'ils n'étaient jamais fatigués.
Tout le monde rentra, retrouva papa, maman pour leur raconter toute la journée. Et ainsi les huit amis se séparèrent l'espace d'une soirée. Mais Audric finit par rester seul au portail. Papa était en retard ? Probable : ce n'était pas la première fois que cela arrivait. Ainsi le garçon attendit, il attendit longtemps pour finalement rester seul au portail avec le surveillant. Les deux, intrigués par tant de retards, attendaient dans une atmosphère finissant par devenir gênante. Le silence pesant finit par régner en seul maître : les deux n'osant pas le briser. Sauf que voilà : des bruits de talons venant de la cour s'en chargea à leur place. C'était mademoiselle Mac Donagan qui semblait se diriger vers eux.
"Je m'en occupe Fred, précisa-t-elle au surveillant avant de se tourner vers l'enfant. Ton papa a un gros retard au travail : il a appelé à la vie scolaire pour nous prévenir. Du coup, on va rentrer un moment en l'attendant d'accord ?"Le jeune garçon, un peu déçu, hocha la tête par dépit tandis que la voiture du surveillant passa devant le portail.
"Ou sinon, murmura la madame, je peux te ramener chez toi. Comme ça on attend pas : tu rentres à ta maison, et c'est bien mieux pour tout le monde. Je préviendrais ton papa t'en fait pas."Attiré par cette idée, le jeune garçon accepta, et les deux montèrent dans la voiture de mademoiselle Mac Donagan pour rentrer à la maison.
Le temps passa et le jeune garçon, monté à l'arrière de la voiture, guida la professeur avec précision et zèle. Droit, gauche, troisième à droite, un continue tout droit, gauche, gauche... gauche... mais il avait dit gauche !
"Mademoiselle, vous vous êtes trompé : il fallait aller à gauche.
-Non Audric : j'ai pris le bon chemin."Que... quoi ? Sa voix était froide et terne : plus qu'Audric n'avait jamais entendu. Ils ne rentraient pas à la maison en fait ? Inquiet, le garçon questionna la madame avec toujours plus d'insistance et de panique. Seulement, aucune réponse... rien... La voiture devenue prison se plongea même dans une sorte de petite forêt : ils étaient sortis de Londres. Mais ils n'allaient pas vers le domaine des Mac Allister : Audric le savait. Où alors ? Terrifié, le jeune garçon chercha à obtenir des réponses, allant même jusqu'à détacher sa ceinture pour s’agripper à la madame. Sur ce, le garçon se sentit comme happé en avant. Et la seconde suivante, une énorme gifle se heurta à sa joue. Aie ! Il était à la place passager : la madame avait pillé, et avait à peine prit le soin de le retenir pour qu'il ne traverse pas le part brise. A peine le garçon avait compris ça qu'elle le jeta contre le siège à coté d'elle.
"Tu te calmes et tout de passera bien ! Dit toi que c'est qu'un mauvais moment à passer sale gamin !"Mais... pourquoi ?! Il avait mal. Sa gentille prof principale lui avait fait mal... Terrifié, Audric ne parvenait même plus à parler. Tremblant, il se rattacha, à la place passager cette fois, et la madame se remit à rouler. Elle avait un air froid, inquisiteur, mauvais. Audric ne comprenait pas. Et comme tout enfant qui ne comprenait pas, il se mit à pleurer.
Une heure, deux : Audric n'avait plus aucune notion du temps. Il pleurait, hagard et ailleurs. C'était la rentrée ? Malheureusement non...
Finalement, la voiture s'arrêta, et la dame saisit le garçon par le col pour le faire sortir. Il vit très tard que les deux semblaient débarquer dans un petit chalet. Passant dans le salon en coup de vent, Audric finit par être jeté dans une salle sombre. La cave. Et la dame avait refermé à clé derrière lui.
C'était pas la maison ça, pas du tout.
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C'était tout noir, si noir. L'enfant, tombé au sol, avait mal. Il avait dévalé des escaliers. Ça faisait mal. Aux genoux, aux coudes, au ventre, au cou : partout. Il n'osait même plus bouger, de peur d'avoir plus mal encore. Il faisait si sombre : à peine une petite fenêtre collée au plafond éclairait faiblement l'endroit. Il était entouré par les ténèbres. S'il bougeait, il avait peur de se faire manger.
Ainsi, il ne bougea pas pendant longtemps, très longtemps. Il dormait, peut être. Il ne savait même pas. Il ne sentait rien d'autre que sa terreur, et il ne se rendait même pas compte quand le sommeil l'en libérait l'espace d'un rêve, ou d'un cauchemar. Il entendait bien un bruit passer parfois. Une lumière aveuglante venant d'en haut détruisait ses yeux. La dame venait lui poser un repas devant lui. Après quelques jours, elle finit vite par se montrer mécontente parce qu'il ne mangeait pas. Mais Audric n'avait pas faim, vraiment pas faim.
La demande de rançon était déjà parvenu à destination : une bien belle somme pour le fils d'un chef d'entreprise multimilliardaire. Pourquoi ?! Mère comme père, décontenancés, ne savaient que faire.
Audric resta, lui, plusieurs jours là bas. Des semaines, voir même quelques mois.
La disparition fut remarquée, tant celle de l'enfant que de la professeur d'ailleurs. L'histoire ressortit et les deux parents durent appeler la police. Ainsi, tout devenait plus compliqué.
Audric, d'abord nourrit, logé et traité à peu prêt convenablement, finit par sombrer un peu plus. Ils avaient appelé la police. Ils allaient le payer. Le petit garçon était mal nourrit, et ce au point de se jeter sur la moindre nourriture périmée au moisie comme un chien. Il était frappé et photographié. Il était assommé aussi. Et le réveil suivant lui laissait découvrir une autre cave. Mais jamais il ne fut mutilé : la dame espérait en obtenir encore un bon prix. Ils avaient appelé la police, alors cela rendait juste l'affaire différente. Plus coûteuse, moralement plus dure : insoutenable même. Ils l'avaient bien cherché. Audric devait payer leurs pots cassés autant que l'argent versé.
Quelques mois de plus : la traque en dura onze. Et finalement la planque du moment fut retrouvée par la police. Ce jour là, Audric, affamé, était aux bords de l'inconscience. Il ne vit pas grand chose. Du bruit, de la lumière. Une lame froide sur sa gorge. La dame hurlait qu'on la laisse partir. Elle aurait fait quoi sinon ? Audric était trop épuisé pour avoir peur.
Mais la lame finit par partir. Des gens se présentèrent. Police. Aide. Le garçon n'avait même pas la force de répondre à leurs questions. Finalement, ses yeux se fermèrent tandis que ses oreilles captaient à peine le bruit d'une ambulance. Tout se ferma, et l'enfant pensait presque que cela ne se rouvrirait jamais.
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Et en fait si. A peine avait il reprit conscience, qu'une lumière aveuglante perçait déjà ses paupières. Ses muscles étaient engourdis, et ses yeux s’ouvrirent avec peine tant la lumière lui faisait mal. Un hôpital. Il était... en vie ! Dieu merci. Il était en vie. En vie...
A peine se mit-il à bouger un peu que ses deux parents se tournèrent vers lui. Leur fils, leur fils adoré. Ils parlaient, exultaient de joie rien qu'en le voyant conscient. Mais Audric n'écoutait pas. Mademoiselle Mac Donagan. C'était vraiment elle ? Non, non, non ! D'abord heureux, les parents du petit garçon retombèrent vite de leur petit nuage à l'instant même où Audric explosa en sanglots. Un câlin, deux : il ne se défendait pas. Il était là, et ailleurs. Il ne disait pas un mot. Il pleurait.
Les larmes durèrent quelques semaines tout au plus : le temps de sortir de l’hôpital. Mais le silence dura des mois, des mois entiers. Audric s'était physiquement remis : aussi rentra-t-il à la maison, vraiment cette fois. Mais toujours aucun mot ne sortait de sa bouche. Il refusait de parler. Il refusait de faire quoi que ce soit seul. Enfin si : il mangeait bien, un peu. Il subvenait sommairement et de manière peu conséquente à ses besoins physiques. Mais rien d'autre. Il ne lisait plus, ne jouait plus. Il ne jouait plus, de l’instrument d'ailleurs. Encore moins du piano : rien que le voir le faisait tomber dans les larmes. Mademoiselle Mac Donagan, pourquoi...
Rien, rien ne le fit sortir de son mutisme pendant près de dix mois. Et pourtant ses parents avaient tout essayé. Les discussions compliquées avec son père, les chansons de sa mère, un psy. Il ne faisait absolument rien. Il restait là, passif et silencieux. Ses parents n'en pouvaient plus : c'était insoutenable. Ils refusaient d’accueillir un nouveau membre de la famille dans cette atmosphère de mort.
Quand un jour, Octavia se rappela du second jour d'école de son fils. Il avait eu musique ce jour là. Et il était rentré, tout fier et heureux d'avoir découvert une mélodie qui lui plaisait bien : Tosca Fantasy. Et si la jeune femme ne se souvenait plus de l'auteur, elle retrouva rapidement la mélodie sur internet.
Un silence, Audric était assis sur le canapé du salon quand sa mère descendit de l'étage. Finalement, elle se plaça au centre de la pièce, un peu derrière le piano. Et elle se mit à chanter. Elle chanta la chanson de tout son cœur, de toute son âme. elle savait bien que l'auteur de leur malheur était celle qui fut sa professeur de musique. Mais elle n'avait plus que ça. Elle avait essayé toutes les autres sans succès. Alors elle espérait.
Les quelques premiers versés furent sans résultat. Et alors même qu'elle voulut abandonner, dépitée, Audric se leva. Il avait la tête basse et ne regardait même pas devant lui. Mais il se dirigea vers le piano. Il s'y assit, et il joua. Il accompagna sa mère et elle l'accompagnait tout autant en retour. Un couplet, un autre. Chaque vers était plus intense, plus profond, plus emplis de leur rage, leur tristesse, leur désespoir, que le précédant. Relevant la tête, Audric se montra même pleurant sans un sanglots. Mademoiselle Mac Donagan. Pourquoi ? Leur mélodie était endiablée, et divine à la fois. Toujours plus haut, toujours plus fort. Chaque note en était un point d'orge et aucun des deux ne se résout à en prendre le contre-pied : ils étaient eux même emportés dans le flot musical.
Finalement, la musique finit... Et Auderic en enchaîna sur une autre. L'accord de fin de la première lui rappelait une autre sur laquelle il enchaîna. Il pleurait, pleurait toujours. Mais ce jour là, il joua des heures durant. Et sa mère chanta à s'en casser la voix.
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Les quelques mois qui suivirent furent pour le moins musical. Audric ne parlait toujours pas. Mais il jouait. Piano, violon. En ce temps il s'essaya même à la guitare après observation d'un domestique. Il jouait, il était doué. Sa mère chantait et se moquait de se reposer. Elle se brisait la voix mais tant pis : elle avait posé beaucoup de congés.
Lentement, elle instaura un dialogue avec Audric, simplement par la musique. Le domestique guitariste, d'ailleurs, s'y joignait de temps à autres soit pour jouer soit pour conseiller le garçon. Une chanson, une autre. La tristesse imprégnée dedans en était aussi déchirante que touchante.
Touchés, chacun dans le domaine chercha à participer, Walter inclus. Et de piano et violon, de guitare en triangle. De voix en une autre. La tristesse laissa place à de meilleurs lendemains. Un jour, on entendit même la voix d'Audric se mêler aux autres l'espace d'une mélodie.
Ce jour là, c'était la veille de l'accouchement d'Octavia. Tout se passa bien, remarquablement bien même. Les deux parents étaient partis à l’hôpital qui avait vu leur tristesse dégouliner de leurs joues, afin d'y signer une scène plus belle et joyeuse. Audric, refusant de sortir, était toujours au domaine avec les domestiques. Et ces derniers redoublaient de poumons et de coffre pour combler l’absence des deux parents.
Quelques jours, pas plus : Octavia voulait retourner auprès de son aîné. Par chance, le petit Julius Ulric Walter Mac Allister était un bébé très vigoureux. Aussi elle le put. Et les deux parents rentrèrent pour voir un aîné qui avait retrouvé de nouvelles couleurs. Il chantait, pas à demi voix, mais à gorge déployée. Il jouait, mais sans pleurer. Mademoiselle Mac Donagan était vraiment une dame gentille après tout, pas comme cette rustre qui lui avait fait du mal. L'enfant refusait d'associer une si gentille dame, et de si nobles instruments, à une tortionnaire aussi basse et mauvaise.
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Le temps passa et la mélodie de la vie suivit son cours. Julius prit ses 4 ans qu'Audric en avait 15. Pendant tout ce temps, il avait reprit les études, à domicile et avec précepteur mais il les avait reprit. Durant ces 4 ans, il n'avait cependant pas rattrapé l'année de retard que toute cette histoire avait entraîné dans son cursus. Mais tant pis : ses parents refusaient de se formaliser pour si peu. Il ne parlait toujours pas, mais il jouait, et il avait reprit le goût du savoir en étudiant. C'était déjà ça.
Cette année là, il se remit même à parler. Ses premiers mots furent une demande à son père. Des cours ? Oui ? De quoi ? De guitare ? Plus de cours de piano ? De violon ? Non : Audric voulait apprendre à se battre, ou à se défendre du moins. Surprenant. Surprit, Walter ne put qu'accepter, et il lui proposa même des cours de guitare pour lui faire plaisir. Audric les accepta.
Un an de plus permit à Audric de reprendre ses marques. Il parlait un peu, mais toujours peu. Et si tout le monde au domaine regrettait sa tendance à jacasser constamment, chacun savait qu'il y avait peu de chance qu'ils le revoient jouer le bavard comme avant. Mais tant pis : ce qui avait fait ne pouvait être défait. Le jeune garçon, devenu adolescent, allait devoir emporter ce fardeau dans sa tombe.
Il parlait un peu, chantait beaucoup, et à côté son frère cadet semblait marcher dans ses pas -ses pas d'avant le drame. Tout suivait son cours et chacun s'en félicitait. Audric suivait son cursus tandis que Julius y rentrait. Leurs deux étaient très doués, chacun à leur façon. Là où Audric se montrait prodige, Julius se montrait malin. Et cela faisait donc une grande différence quand l'un est vraiment bon, là où l'autre se contente de dissimuler la vérité quand il est mauvais. Une différence qui rendait perplexe leur père : les deux seraient certainement de très bons chefs d'entreprise. Audric serait un véritable génie s'il surpassait ses traumatismes. Et Julius, serait un grand meneur d'homme s'il parvenait à ne jamais faire erreur dans ses plans.
Mais quoi qu'il en soit, l'année 1998 mit un point final à ces doutes. Audric avait finit l'école secondaire. Et il avait passé avec succès ses examens. Seulement il fit une nouvelle demande : étudier la musique. Entrer en conservatoire, devenir musicien. L'affaire était faite : il refusait de reprendre le flambeau. Il ne restait plus qu'à voir si Julius le voudrait, le temps venu...
Audric, lui, demanda même à suivre un cursus hors du domaine. Lui même disait "pouvoir se défendre" et s'en sentait capable. Ainsi, il chercha à intégrer un conservatoire, ce qu'il parvint à faire haut la main. Les années suivantes se passèrent avec plus de douceur. Audric, élève aussi silencieux qu’énigmatique, passa sa scolarité avec zèle et volonté. Durant ses années à l'école, il y consolida son savoir musicale, sa pratique du violon, du piano et de la guitare pour même apprendre la flûte traversière et la classique flûte à bec.
Un prodige, presque. Il était doué, très doué. Mais il était dépourvu de tout ce qui faisait un virtuose de son temps : l'imagination. Il répétait, mais ne créait pas. Et pourtant, il avait le niveau et bien plus. Seulement, il était bien plus occupé à traîner son passé avant de créer. Il avait mal, peur. Mais il vivait avec.
Il continua à apprendre à se défendre. Et un professeur au conservatoire lui conseilla de se mettre à la danse pour parfaire son sens du rythme. Aussi s'y plia-t-il, et il découvrit comme défouloir au corps la danse de salon là où la musique était un défouloir à son âme.
Ainsi il sortit du conservatoire avec cinq instruments à son arc, et quelques bases en danse de salon. Il était bien, défoulé. Il s'en relâchait à outrance tant dans la musique que dans la danse. Il passa quelques années dans des orchestres sans grande envergure ou implication. Une ombre de musicien plus qu'autre chose. Il n'aimait ni parler, ni se montrer. C'était dangereux. Il continuait les cours d'autodéfense d'ailleurs plus que jamais ! Même s'il devenait assez expérimenté, et que son professeur lui annonça plusieurs fois qu'il était maintenant apte à se défendre seul, il refusait d'arrêter : il voulait en savoir plus. On est jamais trop prudent... Audric voyait une ombre menaçante à chaque coin de rue aujourd’hui encore...
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Il vivait dans ce qui semblait le rendre heureux. Et pourtant, il ne l'était pas : pas vraiment. Mademoiselle Mac Donagan était morte. Enfin pas vraiment. Cette femme qui lui avait fait tant de mal était encore en prison actuellement. Elle devait terminer sa peine d'ailleurs. Mais sa prof principale trop sympa, cette femme aimante et souriante. Elle était morte. Et Audric n'en avait toujours pas fait son deuil. Pourquoi ? Pourquoi elle avait fait ça ? Elle qui était si douce, si calme. Pourquoi s'était elle laissé corrompre par la vie ? C'était injuste : elle avait été la meilleure chose qu'Audric avait rencontré. Un exemple de gentillesse. Un parangon de douceur. Le musicien pestait après le monde qui dévorait chaque chose pure qui foulait ses terres autant qu'il pleurait mademoiselle Mac Donagan. La madame...
Audric comprit ça peu à peu. Mais cela ne l'aida pas pour autant à s'en libérer. Il était mal, rongé de l'intérieur. C'était comme ça que le monde corrompait le bon ? Non : Audric n'était pas bon. Et c'était peu être tout le problème.
Tout lui vint d'un coup, un seul. 2009. Une nouvelle école ouvrait ses portes. L'institut BaskerVille. Une école pour les jeunes délinquants qui avaient échappé à la justice. Audric en entendit parler par une étrange providence, ou tout simplement au détour d'un couloir. Ils cherchaient des enseignants. Parler... se montrer...
Assez ! C'était ça qui lui manquait, alors Audric s'interdisait de reculer. Il allait donner vie à cette professeur douce et gentille qu'il regrettait tant. Il allait lui même devenir aussi bon qu'il espérait, et jamais laisser le monde le dévorer. Il allait donner vie à son rêve, tout en luttant comme le mal qui semblait ronger l'humain, même les meilleurs. Il allait donner son rêve à ces délinquants qui en avaient tant besoin, de douceur, tout en observant le mal là même où il trouvait ses racines.
Il n'avait plus peur. Il pouvait se défendre. Il n'avait plus mal : il ne le sentait même plus. Il n'avait qu'une chose : envie. Il voulait lutter, s'exposer en cible mouvante pour combattre ce qu'il regrettait le plus en ce monde.
Il voulait devenir une mademoiselle Mac Donagan auprès du mal même qui avait manqué de le détruire.
Mais ils ne prenaient que les meilleurs. Les meilleurs profs, les plus calmes, stables... aussi Audric prit une année entière pour se décider à postuler dans l'institut privé, afin de se préparer avant. Et sa candidature fut retenue. Aussi il arrêta toutes ses leçons, et se décida à faire le grand sort.
Il devint professeur de musique à l'institut BaskerVille.
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Et comment furent ses quelques années de service à l'Institut ?
Épuisantes, éreintantes même. Mais Audric tenait bon. Il était précis, méticuleux et attentionné dans son travail. Il n'était peut être pas aussi chaleureux que mademoiselle Mac Donagan : le musicien gardait ce côté un peu pincé qui lui donnait au final un air plus "british" que distant et effacé. Mais il était aussi ouvert que possible, aussi compréhensif que possible, aussi à l'écoute que possible. Il connaissait chacun de ses étudiants, et ce tant au travers de leur dossier que discutant. Il cherchait, toujours plus, toujours plus loin. Il s'efforçait de suivre cette dure ligne de conduite qu'il s'imposait lui même.
Il devait être un véritable ange pour faire fuir le démon qu'il allait devenir une fois dévoré par le monde...